Le Sénat adopte un amendement pour le blocage des sites de prostitution
Le Monde | 30.03.2015 à 19h36 • Mis à jour le 30.03.2015 à 20h34 | Par Damien Leloup
Le Sénat a adopté en première lecture, lundi 30 mars, deuxamendements au projet de loi sur la prostitution, qui prévoient la possiblité de bloquer administrativement – c'est à dire sans décision d'un juge – les sites favorisant « le proxénétisme » et « la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle ».
Un dispositif similaire avait été initialement mis en place par la loi Loppsi 2, pour les sites hébergeant des contenus pédopornographiques ; il avait été étendu l'an dernier aux sites faisant l'apologie du terrorisme – cinq premiers cas de blocage par ce dispositif ont été mis en place ces dernières semaines.
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L'exposé des motifs de l'amendement fait d'ailleurs le lien entre proxénétisme et pédopornographie, estimant que « les réseaux d'exploitation sexuelle opèrent de plus en plus sur Internet, et les pouvoirs publics doivent apporter une réponse concrète à ce problème dans les meilleurs délais, de façon identique à la lutte contre la pédopornographie sur Internet ».
Concrètement, si le texte est adopté en l'état, les sites soupçonnés de laisser des proxénètes utiliser leurs services (petites annonces, forums, sites dédiés à la prostitution…) pourraient être bloqués directement par les fournisseurs d'accès à Internet, sur simple demande des autorités. Un tel blocage est loin d'être efficace à 100 % : de nombreuses techniques de contournement existent, consistant notamment à « faire croire » au navigateur Internet qu'il se connecte depuis l'étranger, ou à utiliser des « annuaires » qui ne sont pas ceux des fournisseurs d'accès Internet français.
Historiquement, le PS était opposé au blocage administratif des sites internet. Plusieurs députés socialistes, dont Manuel Valls, avaient d'ailleurs déposé un recours au Conseil constitutionnel contre la loi Loppsi 2, votée par la majorité de droite, qui avait mis en place le blocage des sites pédopornogaphiques. Les députés considéraient alors qu'il s'agisssait d'une « mesure inappropriée voire contreproductive et d'un coût excessif au regard de l'objectif poursuivi de lutte contre la diffusion d'images pédopornographiques ; que, d'autre part, en l'absence d'autorisation judiciaire, l'atteinte portée à la liberté de communication par l'impossibilité d'accéder à ces sites serait disproportionnée ».
Depuis, la majorité socialiste a étendu cette possibilité de blocage aux sites faisant l'apologie du terrorisme, et la ministre de la justice, Christiane Taubira, a évoqué la possibilité d'étendre le champ des sites « bloquables » à ceux publiant des appels à la haine raciste ou antisémite.
En 2013, les députés socialistes avaient déjà souhaité mettre en place une mesure permettant le blocage administratif des sites de prostitution. Le gouvernment avait finalement fait marche arrière. A l'époque, l'amendement gouvernemental supprimant cette disposition notait qu'il est « prématuré de prévoir l'inscription d'un dispositif de ce type dans une proposition législative ». L'amendement indiquait également que « le partage entre les responsabilités respectives du juge et de l'autorité administrative dans ces décisions est un sujet qui mérite une réflexion plus approfondie (…). Le numérique, ses technologies et ses usages peuvent et doivent être un support et un facteur d'approfondissement de ces droits. »
En 2013, le projet de blocage avait été très vivement critiqué par les associations de défense des libertés numériques, mais aussi par le Conseil national du numérique, ce groupe consultatif saisi par le gouvernement sur tous les projets de loi touchant au numérique.
Le passage du projet de loi sur la prostitution au Sénat, toujours en cours, est particulièrement chaotique. La chambre haute semble vouloir modifier largement le texte voté par l'Assemblée, qui devait initialement mettre en place une pénalisation des clients – une mesure déjà supprimée, en commisssion, par les sénateurs l'an dernier. Le Sénat pourrait également réintroduire le délit de racolage passif, mesure emblématique du gouvernement de Nicolas Sarkozy et critiquée par toutes les associations de défense des prostitués.
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