« Faites ce que je dis,
non pas ce que je fais… »
L’une des marques décisives de différentiation de l’être humain vis-à-vis de ses cousins germains mammifères et tout spécialement Primates, c’est la façon dont il éduque sa progéniture.
En effet, tous les autres représentants du grand ensemble, que nous dirons simiesque, ont pour habitude d’enseigner par l’exemple, en initiant leurs descendants aux gestes et comportements nécessaires à leur survie. En gros, et sans le dire puisqu’ils ne parlent pas, ils inculquent à leurs hoirs les attitudes et les pratiques qui leur servent à eux-mêmes, depuis la nuit des temps simiesques, à assurer leur survie au jour le jour. Or l’animal humain procède à l’inverse.
L’Homo Sapiens-Sapiens savamment policé et sociabilisé a pour principe celui dont les curés faisaient autrefois leur principe moral : « Fais comme je te dis, ne fais pas comme je fais ».
Ainsi, dans sa candide sincérité, le singe prêchait-il par l’exemple, tandis que l’homme argumente selon des principes abstraits qu’il ne manque pas de bafouer lorsque la situation l’y pousse de façon opportune ou opportuniste. C’est du reste cette aptitude à enfreindre les règles qu’il recommande à ses enfants de respecter qui lui a valu de proliférer au point de prendre le pouvoir de manière irréversible non seulement sur le reste de l’animalité terrestre, mais encore sur la Terre elle-même. Son mensonge hypocrite fut gage de son succès.
« Voilà ce qu’il est bien de faire » dit le père à son fils. Et voici ce qu’il fait, le cas échéant en contradiction avec ses estimables recommandations. Et son fils comprend qu’entre les mots et les actes la distance est souvent infranchissable, et que, même, moins on cherche à la franchir, mieux on semblera se porter.
L’école est à cet égard symptomatique : tel « enseignant », qui dispensera des leçons de morale ou de civisme impressionnantes de justesse, n’hésitera jamais, lorsque son propre vécu l’y incite, à réagir instinctivement au rebours de ce qu’il a professé. Son méfait est plus grave que celui du père, lequel n’a pas forcément choisi d’être père, tandis que l’enseignant à choisi, lui, de s’instaurer initiateur professionnel (et donc rémunéré), sans pour autant s’estimer investi d’un devoir d’exemplarité (contrairement au singe, qui est pourtant bénévole, et qui n’a nul sentiment d’un devoir à accomplir).
On objectera que les singes n’enseignent aucune morale : ils s’en tiennent à inculquer l’usage de gestes utiles et de comportements opportuns. Ils sont donc plus sages puisque nul n’aura jamais de raison, ni le moindre avantage ou la simple tentation, d’enfreindre les règles de ce cursus minimal de survie, qu’il n’aura de toute évidence aucun intérêt à transgresser ou à négliger.
La morale vient ensuite de manière instinctive, avec de larges marges de tolérance. Et, pour l’essentiel, cet instinct (au demeurant fondateur des prémices de la morale chez l’animal humain), qui consiste à ne pas outre-mesure faire à autrui ce qu’on ne souhaite pas qu’on nous fît à nous-mêmes, et à respecter de vagues et très intuitives « consignes » de solidarité sociale au sein de l’espèce, existe aussi bien, sinon mieux, plus « naturellement », au sein des autres familles de mammifères que parmi celle des Homo Sapiens-Sapiens, ces rois de l’hypocrisie et de la roublardise.
C’est ainsi que le gibbon chapardeur le sera toujours de manière plus ingénue, en quelque sorte sincère et non dissimulée, que l’homme, chez qui le vol, l’appropriation, le détournement de biens s’enrobent de techniques extrêmement sophistiquées, allant jusqu’à lui faire nier le méfait qu’il vient de perpétrer. Expert en dissimulation, il pourra pousser la scélératesse jusqu’à considérer que son larcin est soit légitime, soit absous sous prétexte du principe stipulant que « ni vu ni pris ».
Le singe dominant exerce un pouvoir cynique autant que candide, mais franc et même sincère, résultant de l’étalage d’une force indiscutée, admise par le consensus tribal ou clanique. L’homme trouvera mille prétextes à sa domination : il le fit longtemps en arguant d’une origine divine ou mythique ; puis, avec l’entrée en jeu de principes démocratiques aussi séduisants que trompeurs, il le fait de façon détournée, sournoise, en se faisant élire soit disant pour le bien de tous les autres !
Gil Jouanard.